Les égouts dans l’histoire de la ville
Bruxelles connaît, dès le 17e siècle, le développement d’un véritable réseau d’égouts destiné essentiellement à l’évacuation des eaux des rues. Ce réseau reste toutefois très incomplet et certains règlements de la Ville invitent les habitants à se débarrasser de leurs immondices dans la Senne, qui zigzague dans le centre. Subissant le développement industriel du Canal, la Senne a en effet perdu au cours du temps sa fonction économique première et se voit limitée à cet usage. Au début du XIXe siècle, sa pollution est à son comble. La rivière charrie détritus et charognes ; elle déborde en temps de pluie et s’assèche en été, dégageant des odeurs pestilentielles. Il n’était pas rare, dit Camille Lemonnier en 1888, de voir un ventre ballonné de chien flotter, pêle-mêle avec des mises bas et des détritus ménagers, à la dérive de ses eaux grasses et lourdes. Ambiance…
Assainir, la belle affaire
Effectués sous le mayorat de Jules Anspach (1863-1879), les travaux d’assainissement de la Senne s’imposent comme la plus grande entreprise de génie civil du XIXe siècle bruxellois. La volonté des autorités est de réduire la pollution de la rivière et d’en empêcher les inondations périodiques. Elle est également motivée par la restructuration complète du bas de la ville ; ruelles et impasses insalubres vont faire place à de larges boulevards haussmanniens apportant air et lumière. À la demande du bourgmestre, des projets d’assainissement, une quarantaine au total, sont à l’étude dès 1861. Dépollution de la rivière, percement de grands boulevards, création de places, liaisons ferroviaires ou aménagement d’un nouveau port sont autant de variantes proposées par les ingénieurs de l’époque. Deux options se démarquent toutefois : la première consiste à dériver la Senne de manière à contourner Bruxelles par l’Ouest, la seconde à la voûter à travers le centre. La solution retenue en 1865 après maintes expertises fut le voûtement.
Un second voûtement
À peine ce premier voûtement est inauguré en 1871 que l’efficacité des travaux gigantesques s’avère limité au bas de la ville… Les communes situées en amont et en aval du tronçon vouté sont toujours soumises aux aléas des inondations de la rivière. Dès la fin du XIXe siècle, des études envisagent d’évacuer le trop-plein des eaux de crue vers le canal. Plusieurs ouvrages spéciaux sont dès lors construits à cet effet.
Il faudra cependant attendre l’Entre-deux-guerres pour que débute le projet de détournement de la Senne par les boulevards extérieurs, et ce par un second voûtement allant de la gare du Midi au pont Van Praet en passant par la Porte d’Anderlecht. De 1931 à 1955, plus de 20 ans sont nécessaires à la Société intercommunale pour le Détournement et le Voûtement de la Senne pour réaliser la déviation de la rivière sur six kilomètres vers et le long du canal. Ce voûtement entraîna des modifications aux pavillons d’octroi de la Porte d’Anderlecht. Les pertuis du second voûtement achevés, les pavillons furent reconstruits à l’identique, mais plus écartés l’un de l’autre afin de faciliter la circulation dans l’axe de la chaussée de Mons.
Un mot sur les pavillons d’Octroi
Toponyme et pavillons constituent en eux-mêmes un beau morceau d’histoire bruxelloise. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, sept portes perçaient le mur d’enceinte de Bruxelles. La Porte d’Anderlecht ouvrait la ville aux voyageurs en provenance du Hainaut par la chaussée de Mons. Elle fut transformée en prison vers le milieu du 18e siècle avant d’être démolie en 1784. Au début du 19e siècle, les remparts, délabrés, connurent le même sort et leur démantèlement, ordonné par Napoléon, laissa place aux boulevards de la Petite Ceinture. Ceux-ci étaient flanqués d’un fossé et de palissades qui limitaient l’accès en ville par les seuls pavillons d’octroi, destiné à percevoir la taxe sur tous les biens entrant dans la capitale. En 1831, l’architecte de la Ville, Auguste Payen, établit les plans des deux bâtiments actuels, qui furent achevés en 1836. Ornés de deux frontons allégoriques — la Ville de Bruxelles et le Commerce — ces pavillons restèrent en fonction jusqu’à la suppression de l’octroi en 1860.
Revenons à nos égouts
Le réseau d’égouts de la Ville de Bruxelles s’est progressivement étendu. De 45 km en 1847, date du premier relevé, il passe à 110 km en 1878. Il en compte aujourd’hui plus de 350 ! Les égouts recueillent à la fois les eaux pluviales ou de ruissellement et les eaux usées provenant des habitations et de l’activité humaine. On y retrouve enfin les eaux claires dites ‘’parasites’’ provenant de drainages ou d’infiltrations de la nappe phréatique.
Sur le territoire de Bruxelles-Ville, environ 200 000m2 d’eaux usées sont charriées quotidiennement dans les égouts par temps sec. La consommation moyenne en eau s’élève à près de 130 litres par jour et par personne. Les besoins collectifs (bureaux, hôpitaux, service d’incendie, nettoyage de la voirie, etc.) et les industries augmentent ce volume à environ 180 litres.
Travail souterrain
L’augmentation de l’agressivité chimique des effluents, les vibrations causées par la circulation automobile toujours en croissance, les infiltrations d’eau, les perpétuels chantiers de la ville, les racines des végétaux ou encore les galeries creusées par les rats sont autant de facteurs de dégâts portés aux égouts bruxellois. Les conséquences sont diverses : mauvaises conditions d’écoulement, problèmes d’étanchéité et altération de la structure. Une surveillance étroite et des interventions rapides permettent de maintenir en état ce réseau dont certaines sections ont plus de 200 ans.
Le musée met en lumière le travail des égoutiers dans ce dédale souterrain. Curage des égouts et des collecteurs, des bassins ou des siphons, entretien des raccordements, désengorgement des avaloirs ou des branchements privés sont autant de tâches qu’ils assurent régulièrement. L’exécution de ces travaux particulièrement pénibles est parfois facilitée par le recours à certains outils mécanisés mais le moins que l’on puisse dire, c’est que le milieu des égouts reste hostile. Il présente un environnement obscur et humide d’où émanent des odeurs putrides. Les conditions de travail et de déplacement y sont difficiles. Les tâches sont physiquement éprouvantes et engendrent des postures contraignantes. De plus, de nombreuses nuisances sont générées par les rejets illicites de substances toxiques ou par les insectes, rats et micro-organismes pathogènes contenus dans l’eau. En cas d’orage, quelques minutes suffisent pour mettre les égouts sous pression, ne laissant que très peu de temps aux hommes pour remonter à la surface. Et pourtant, des ouvriers circulent quotidiennement dans ces entrailles urbaines pour assurer la viabilité même de la ville.